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Compte rendu factuel de la randonnée en Mongolie du 26 juin au 20 juillet 2003

Intro
Vendredi 27 Juin 2003
samedi 28 Juin 2003
Dimanche 29 Juin 2003
Lundi 30 Juin 2003
Mardi 01 Juillet 2003
Mercredi 02 Juillet 2003
Jeudi 03 Juillet 2003
Vendredi 04 Juillet 2003
Samedi 05 Juillet 2003
Dimanche 06 Juillet 2003
Lundi 07 Juillet 2003
Mardi 08 Juillet 2003
Mercredi 09 Juillet 2003
Jeudi 10 Juillet 2003
Vendredi 11 Juillet 2003
Samedi 12 Juillet 2003
Dimanche 13 Juillet 2003
Lundi 14 Juillet 2003
Mardi 15 Juillet 2003
Conclusion


Après plusieurs mois de contacts divers avec Rémy via Internet, plusieurs journées de randonnée équestre avec les compagnons de voyage, quelques soirées resto où les idées, les préparatifs divers et obligatoires (les visas !) se peaufinent, ça y est …on part !

Rendez-vous est pris à l’aéroport de Zaventem à 22h00 avec l’équipe. Cela fait déjà plusieurs jours que la tension monte et que les échanges téléphoniques se font plus nombreux : n’avons-nous rien oublié ? Et par opposition, n’avons-nous rien pris de superflu ? Limités à 20 kg de bagages, il faut viser l’essentiel et trancher dans le vif en éliminant du sac nombre de vêtements, de matériel en double emploi etc. … Par contre, il y a les incontournables dont la pharmacie. Notre objectif est de prévoir au maximum et de se donner toute chance qu’un simple ennui de santé à la base anodin ne vienne pourrir notre voyage dont on sait qu’il mettra les organismes à rude épreuve. De la simple aspirine à l’antibiotique à large spectre en passant par les sparadraps et bandages, désinfectant etc. … Tout est à penser car nous évoluerons à plusieurs centaines de Kms de toute ville ou village, de tout téléphone. En cas de besoin, des secours médicaux mettraient plus de 24 heures à arriver, au mieux. Chacun de nous a renouvelé également son matériel de camping : bien que les étés soient normalement secs et chauds, une pluie occasionnelle est inévitable en cette saison et elles ont la réputation d’être drues … les toiles doivent être résistantes et l’équipement adapté à un environnement de moyenne montagne à haute montagne avec d’importants et brutaux écarts de températures.

Tout est en ordre. A Zaventem, le hall est presque désert : je suis le premier. Très vite, Catherine, l’initiatrice du projet, arrive directement suivie d’Ariane. Il ne manque plus que les deux derniers hommes du groupe, nos deux frères : Laurent et François… de joyeux lurons qui se font désirer ! Heureusement, ils arrivent enfin car le vol Aéroflot qui nous emmène à Oulan Baator via Moscou décolle avec plus de 35 minutes d’avance sur l’horaire annoncé ! L’équipe est au complet, les bagages enregistrés, Zaventem toujours aussi désert … décollage !

Vendredi 27 juin
Moscou. Arrivée à 06h00 local. Nous transitons toute la journée à Moscou et de ce fait nous avions décidé d’en profiter pour aller nous y balader et avions donc fait le nécessaire pour obtenir nos visas de transit. Plusieurs options s’offrent à nous du terminal de Cheremetivo II : le taxi à 2000 roubles par pers. (soit environ 2000 Bef anciens, donc environ 50 euros !) ou alors le minibus 13 places à 20 roubles par personne … adjugé ! Le plus compliqué, comme toujours lorsqu’on ne maîtrise pas la langue du pays, c’est de se faire comprendre car le français ou l’anglais parlé n’est pas courant. Arrivés à la station de Retchnoï Vokzal, terminus métro de la ligne verte qui jouxte un marché digne de la caverne d’Ali Baba grouillant de monde, encore faut-il s’y retrouver et comprendre les règles de fonctionnement. Deux soucis : personne ne parle une autre langue que le Russe et ensuite, les rares indications sont en cyrillique, c’est à dire à ce stade de notre découverte une langue indéchiffrable pour nous ! La chance nous sourit car nous finissons par rencontrer un étudiant russe qui parle quelques mots d’anglais et nous aiguille : achat d’une carte de voyage 20 places à 100 roubles (0,12 euros le voyage, c’est bon marché !), bon choix de quai et surtout, opter pour la bonne direction et savoir où descendre ! Le métro de Moscou est impressionnant pour la beauté de ses stations et sa profondeur. Du marbre, des lustres, des voûtes et des arcades mises en valeur par de subtils jeux d’éclairage, cela vaut la peine d’être vu ! Étant donné que ce métro est aussi le plus profond d’Europe, pour parvenir aux stations nous devons emprunter des escalators abruptes dont la déclivité donne le tournis ! A la sortie, sous les nuages, premières impressions … rues larges mais très propres où déambulent des hommes et femmes au visage triste et sévère. Police omniprésente. Pas ou peu de verdure : ville et population austère. Tout comme la place rouge où l’on accède par le perron rouge du palais à Facettes, le Kremlin à droite et le Goum à gauche. Au fond, les multiples coupoles de la cathédrale de Basile le Bien-Heureux. Il n’y a pas d’ambiance sur cette place, le côté austère est bien présent. Nous passons notre journée à marcher et rejoindre les sites à visiter, bientôt sous la pluie …

Dernier évènement de la journée dans le métro pendant le retour vers l’aéroport : j’échappe de peu à l’adresse d’un pickpocket dont la main ne force heureusement pas les rabats fermés de ma poche arrière qui abrite mon portefeuille. J’avoue avoir cru dans un premier temps à une simple bousculade maladroite et avoir mis quelques secondes trop longues à comprendre mais la technique n’a pas leurré Laurent qui me suivait juste derrière : Laurent avait déjà presque la main sur l’auteur de la tentative, prêt à l’attraper au cas où il aurait saisi mon portefeuille. Désormais, je serai plus prudent encore !
Catherine, Ariane, Laurent et moi rejoignons François qui n’a pas reçu l’autorisation de sortir de l’aéroport faute de visa … en effet, après la Mongolie, il traversera la Russie et ne peux donc cumuler les deux types de visas. A 22 heures, nous décollerons pour Oulan Baator et en attendant, nous essayons de prendre un peu de repos dans le hall … en vain.

Samedi 28 juin
Bien arrimés aux sièges du vieux Tupolev, après plus de 6h00 de vol passé à dormir comme un loir, nous atterrissons enfin à Oulan Baator. La sortie de l’aéroport contraste avec celle de Moscou où les multiples contrôles agacent tant ils sont lents.
Nous sommes accueillis par Rémy et Patrick (Patitchi en prononciation mongole). Rémy est le propriétaire de l’agence locale avec qui nous avons pris contact. Breton d’origine, il vit à Oulan Baator depuis plus de 6 ans et est marié avec une femme mongole. Patrick, mongole, est son guide depuis le début et nous sert aussi d’interprète car il maîtrise parfaitement le français. Oulan Baator est certes une ville très pauvre (revenu moyen mensuel par habitant d’environ 50$us), elle n’en reste pas moins relativement propre. Ce qui frappe le plus, outre le physique typé des mongoles, c’est qu’ils ont tout de même gardé leur identité culturelle dans une société sur laquelle le communisme a posé sa chape politique et architecturale. A cet égard le contraste interpelle quand, à côté du bloc gris de béton monolithe typique du communisme se pose la Yourte d’où s’échappe de la fumée …
Nous déjeunons dans le bar que tiens également Rémy, au troisième étage d’un étrange bâtiment dont Laurent dira qu’il sort d’un décor de Mad Max, à raison ! Impossible de deviner de l’extérieur qu’il abrite nombre de petites échoppes, mais surtout nombre de bars constitués d’une pièce unique, quelques tables et chaises bancales.
L’accueil de Patrick, Rémy et sa famille est franc et chaleureux. Rémy nous accompagne et nous guide dans la ville, il est disponible. Plutôt que de loger dans un hôtel irrémédiablement bruyant (les rues fourmillent de véhicules en tous genres et de tous âges qui se battent, sans règles aucunes à coups de klaxons et «pousse-toi de là que je m’y mette !»), Rémy nous mène à l’écart de la ville dans un campement de yourtes. Nous y trouvons le calme, les odeurs, aux portes de la nature. L’environnement est typique. Nous bénéficions de bonnes infrastructures propres pour le pays et la douche est la bienvenue. Nous savons que çà ne va pas durer et profitons pleinement de ces derniers conforts. Demain, nous roulerons presque 12h00 pour faire 400 Kms sur des routes et pistes défoncées afin de rejoindre la région nord du Khangaï : l’Arkhangaï. Bientôt nous la traverserons à cheval ainsi que l’Övörkhangaï. J’imagine encore, bien que l’heure approche, les immensités sauvages des grands espaces aux travers desquels ils ne cessent d’évoluer, source du profond respect de ce peuple pour la nature et l’ensemble des éléments qui la constitue. Cette population, par opposition à la froideur des slaves, est accueillante et la majorité des gens rencontrés sont d’office souriants et volontiers rieurs. Peuple fier, heureux de vivre, même simplement. Le terme de « Khangaï » signifie littéralement « ce qui satisfait un besoin, un désir ». Cette région située à l’ouest de la capitale administrative (imposée par le régime de l’ex-URSS) est riche d’une nature généreuse, les pâturages sont abondants, la flore plus exubérante qu’ailleurs … elle abrite le loup de Mongolie (Gengis Khan était affublé de ce patronyme …) dont la fureur s’abat sur les bêtes malades ou faibles qui paissent sur les flancs de collines. J’espère qu’on aura l’occasion de l’apercevoir lorsqu’on s’enfoncera dans les profondes forêts sauvages de Mongolie …

Dimanche 29 juin
Il est maintenant 23h30, je suis allongé sous la tente et j’essaie tant bien que mal de retranscrire sur le papier la somme des émotions vécues pendant notre transfert.
Le premier sentiment de la journée fut le moins agréable du jour : c’est la tête lourde que le levé s’est effectué vers 07h30 ce matin, ponctué des vagues souvenirs des premières vodkas de la veille au soir dont les Mongoles raffolent et n’hésitent pas à vous arroser ! Une douche et quelques cafés plus tard, j’avais assimilé cette première difficulté. Nous avons roulé nos 12 h 00 prévues pour rejoindre la yourte de Hagi, propriétaire des 20 chevaux qui allaient être mis à notre disposition. Les routes sont effectivement tout ce qu’il y a de plus chaotique et même les tronçons asphaltés n’apportent pas de confort tant les brisures et trous sont nombreux. Régulièrement, le chauffeur préfère d’ailleurs rouler sur les larges accotements sableux plutôt que de risquer la casse d’un de ses amortisseurs … Nous sommes entassés à 11 dans ce vieux véhicule 4x4 de fabrication russe. Mais au travers des vitres, la steppe se dévoile à nous peu à peu, les jeux de lumière s’initient, les montagnes se découpent. Nous nous arrêtons à quelques Oboo dont nous faisons 3 fois le tour en priant. A chaque passage, il faut y faire une offrande et la déposer sur le tas existant : ce peut être tout simplement un caillou ramassé par terre … ce dernier aidera le site à devenir plus imposant encore en le faisant grandir. En tournant les moulins à prières et en tournant autour du monticule sacré, nos prières sont censées voler vers ceux à qui elles sont adressées.

En fin de journée, nous arrivons enfin (le dos cassé !) à destination, et la magie prend une nouvelle dimension lorsque nous sommes accueillis par Hagi et sa famille de nomades dont les seules richesses se composent d’environ 200 chevaux, chèvres et yachs. Le soir, ils tuent un mouton et nous préparent les abats avec un potage et quelques biscuits, ce qui constitue un plat majeur pour les invités de marque auxquels l’hôte fait l’honneur d’une nourriture toute fraîche. Chacun pioche à la main un morceau de foie, de coeur ou de poumon bouilli dont il coupe un bout avant de le déguster … bienvenue dans le vif du sujet !

Leurs traditions nous sautent à la figure et nous craignons à chaque instant de commettre un impair : façon de donner et recevoir, d’accepter ou de refuser, se placer sous la yourte etc. … fusion de l’homme et de la nature ! C’est de la main droite soutenue par la main gauche que l’on tend un verre, une coupe ou une tabatière et la même gestuelle est d’application pour recevoir. Sans s’arrêter sur le seuil de la yourte dans laquelle on pénètre uniquement du pied droit en premier, son contournement se fait par la gauche en tournant autour du feu. A gauche se situe la banquette des invités et amis, au centre celle du chef de famille et enfin celle des femmes. La yourte est toujours orientée avec son ouverture vers le sud / sud-est car c’est de la Chine que venaient les ennemis qu’il fallait symboliquement pouvoir observer.
Le feu, source de chaleur et de vie, est également à respecter : son entretien ne nous appartient pas et rien ne s’y jète de notre propre initiative pour ne pas risquer de le souiller. Le périmètre du feu ne peut d’ailleurs idéalement pas être traversé et les convives assis ne peuvent laisser leurs semelles de chaussures y faire face. Un verre ne se refuse pas : on le prend et si l’on a plus soif, on y pose juste les lèvres avant de le re-déposer. L’airak, lait de jument légèrement fermenté au goût acidulé est offert à chaque instant et à chaque rencontre. La traite des juments a lieu 6 fois par jour et il est surprenant d’observer comment les nomades mongoles utilisent le comportement naturellement grégaire des chevaux menés par l’étalon pour exploiter leurs juments. D’autre part, lorsque vous offrez un verre de vodka à un homme, ne soyez pas surpris de le voir y tremper l’annulaire pour y faire couler une goutte jusqu’à sa bague en or ou en argent : cette tradition dont l’objectif est de vérifier qu’aucun poison ne pollue le breuvage offert remonte à l’époque de Gengis Khan dont le père est mort par empoisonnement. Si la goutte entrée en contact avec le métal colorie la bague, il ne sera plus temps de courir ! Si le test est par contre concluant, c’est en marmonnant quelques formules rituelles que le mongole dispersera la goutte vers les points cardinaux avant de ne faire qu’une gorgée de cet alcool aux qualités inégales. Le maître du clan, quant à lui, lancera le contenu du premier verre vers le ciel et le feu, en offrande à la terre, au ciel et aux ancêtres …

Lundi 30 juin 2003
Lever à 7h30 - 08h00, alors que la pluie nous a arrosé toute la nuit. Le petit-déjeuner s’est pris sous la Yourte de Hagi : pain, biscuits, beurre, confiture, crème de lait de jument et également une sorte de crêpe molle à base de lait et de farine … Les nuages se sont vite dissipés pour faire place à un vif soleil dont la chaleur nous baigne généreusement. Les fils de Hagi, Gumcik et Bold, sont allés cherché les chevaux dans la montagne voisine : il est l’heure de tester nos chevaux et de vérifier s’ils nous conviennent. Pour la cause, Rémy avait acheté 5 selles de type «randonnée» de fabrication chinoise dont l’assise s’approche plus de nos habitudes par rapport à la selle mongole. Elles ont été adaptées avec des sangles en poils de chameau tressés et des étrivières en boyaux de bœuf dont la résistance est meilleure. Après avoir adopté quelques modifications sur notre recommandation (nous avons fait avancer les points d’attache des étrivières), nous lançons nos premiers trots et galops …
Une fois parés, nous partons essayer nos chevaux pour une ballade de 2 heures … et le sublime s’offre à nous : sur 360° et des dizaines de Kms s’étend la steppe et les montagnes, les crêtes et les pitons rocheux. Je n’ai jamais vécu un tel sentiment de liberté à cheval. C’est à croire que le ciel fait l’amour avec la terre et nous sommes les spectateurs de cette harmonie parfaite entre les éléments. Au cœur de cette immensité nous avançons côte à côte, à 5 chevaux au pas rapide, trot ou galop et rien ne peut nous arrêter. Nous restons silencieux, souriants et surtout stupéfaits de ce qu’il nous est donné de vivre. Respect.

Nous allons enfin accompagner et rencontrer ces populations nomades de Mongolie qui me font penser aux populations indiennes qui vivaient aux Etats-Unis au siècle dernier. Comme eux, les Mongoles vivent au rythme des saisons de la nature, de son âme, de ses ressources et de ses colères, des animaux qui les nourrissent, de l’eau des rivières et des lacs. Comme eux, ils vénèrent cette nature et les esprits qui l’habitent … coutumes chamanistes ancestrales. Ce soir, un nouveau mouton a été tué mais le menu sera plus engageant que la veille car ils nous préparent un plat typique de la steppe mongole à base de viande, oignons sauvages, légumes et épices dont la cuisson originale se fait à l’aide de pierres brûlantes sorties du feu. Un véritable délice !
Le soir, nous veillons à la lueur des bougies dans la yourte. Chacune des trois familles qui composent cette « tribu » nous offre une bouteille de vodka et nous les partageons selon les rites et traditions. Les chants fusent de leurs voix mélodieuses et les polyphonies emplissent la nuit. Patitchi fait office d’interprète et nous communiquons avec nos hôtes : nous voulons tout savoir d’eux, ils sont curieux de l’Europe. On sait que leur quotidien est dur et leur combat pour vivre sans répit … nous rions ensembles …

Mardi 1er juillet 2003.
Au petit matin, il pleut à nouveau et c’est sous les gouttes qu’on se rend sous la yourte pour y prendre notre déjeuner. Heureusement, une accalmie permet au soleil de percer et ce court répit suffit à sécher nos tentes pendant que les Gumcik et Zorigo vont chercher nos chevaux dans la montagne. Le système de battage est rudimentaire et plutôt inefficace. Comme ils ne possèdent pas de selles de bât, ce sont des sangles qui saisissent nos sacs posés en équilibre de part et d’autre d’une selle mongole dont les éléments on été retirés, le tout étant sommairement fixé aux deux montants de la selle. Ils semblent sûrs d’eux … nous observons la technique et pensons secrètement que cela ne fonctionnera pas ! Nous sommes au total 10 cavaliers (5 belges et 5 mongoles) et prenons 20 chevaux pour assurer des relèves et permettre à chaque cheval de se reposer 1 jour sur 2. En route !

C’est impressionnant d’observer cette caravane avancer dans la plaine, au pas de chevaux. Alors que l’on est parti depuis moins d’une heure, un terrible orage éclate juste au dessus de nous. Le ciel est noir et chargé, les chevaux farouches et nerveux, peu habitués à travailler de la sorte. C’est à cet instant qu’Ariane est désarçonnée par le cheval qu’elle tient à la longe. Son cheval de selle, surpris par la chute, s’enfuit au grand galop à travers la steppe après avoir tourné autour de nous à deux reprises. En quelques minutes, ce n’est plus qu’un minuscule point noir sur l’immensité de la plaine. Lors de la fuite du cheval d’Ariane, c’est un des chevaux de bât qui prend peur et après deux ou trois sauts de cabri, l’ensemble de son paquetage vole à terre en semant la pagaille la plus totale au sein des autres chevaux que l’on tient tant bien que mal ! Drôle de départ ! Heureusement, l’orage a cessé mais le ciel qui s’assombrit encore n’annonce rien de bon ! Laurent et moi partons à la poursuite du cheval fuyard et galopons près de 20 minutes avant de le retrouver au beau milieu du troupeau de Hagi, à notre point de départ !
A peine une heure plus tard, alors qu’on vient de se remettre en route après cette première péripétie et que je reste en arrière avec Gumcik, on observe de loin le groupe d’où s’échappe à nouveau un cheval … il y a un problème et à nouveau une chute … d’Ariane ! Je pars accompagné de Gumcik au grand galop pour intercepter le fuyard et ce n’est que beaucoup plus loin que la monture est récupérée. Ariane est choquée par sa chute. Nous interceptons un motard et lui demandons d’aller déposer Ariane à une bergerie perdue dans la montagne. C’est là que nous monterons le camp pour la première nuit. Nous avons parcouru à peine une petite dizaine de kilomètres … en presque 4 heures ! Les couleurs du ciel sont percutantes et les nuages toujours menaçants. Le départ est dur, et ce n’est que le début ! Le cheval d’Ariane est le plus peureux du groupe et ne s’habitue pas à la présence d’autres chevaux à la longe, ni à l’imposante masse des bagages, ni au froissement de nos vêtements de pluie … il ne sera plus monté que par nos guides mongoles. Notre premier camp se monte sous la pluie et dans le froid … c’est notre aventure !

Mercredi 02 juillet 2003
L’immensité nous rend ivre de plénitude, de respect et d’admiration. Pourtant, ce matin, nous avons dû nous rendre à l’évidence : ce voyage ne sera pas forcément une partie de plaisir car la pluie battante et le froid nous glace les os. Les tentes sont repliées mouillées et les enseignements de la veille permettent un meilleur battage des chevaux. Cela fait maintenant plusieurs jours que nous n’avons pas eu un bon point d’eau pour notre toilette et c’est donc à la lingette humide que nous nous rafraîchissons chaque soir. A cheval, nous suivons la vallée et la pluie finit par cesser bien que le ciel reste menaçant. Les éclaircies arrivent et les jeux de lumière se font plus subtils : soleil au loin, lourds nuages à notre verticale, montagnes rocheuses et débuts de forêts. Le paysage change mais la trame reste inchangée : immenses et infinies étendues sauvages. Nous nous arrêtons sur l’heure de midi dans une famille de nomades pour le repas. Par tradition, nous laissons un billet de 1000 Tuglïks (soit 1 euro !) sur l’hôtel qui trône dans chaque yourte de nomades.

Le soir, nous faisons étape chez le papa de Zorigo qui a installé sa yourte à quelques encablures d’une source d’eau chaude. Il y a moyen d’y prendre un bain et cette nouvelle nous réjouit. Après avoir monté notre tente et installé le camp à quelques 50 mètres des yourtes, au pied des collines sauvages, nous prenons nos chevaux pour galoper 15 minutes vers les sources où nous attendent de rudimentaires baignoires dans des cahutes de bois ! Deux baignoires par cases, séparées par de vagues planches de bois qui nous accordent à peine de l’intimité : c’est cela la Mongolie ! L’eau (chaude et froide) est pompée à la source grâce à un groupe électrogène et versée dans une canalisation de bois qui coule au sommet des baignoires. Que l’on retire le bouchon du haut ou du bas et l’eau remplit la baignoire. Qu’importe l’aspect peu engageant du site et le fond de la baignoire : après plus de trois jours dans la steppe, sous la pluie glaciale, se plonger dans cette eau et se savonner à souhait est un vrai nectar !

Nous sommes seuls. Et comme pour remercier les esprits qui permettent à cette source chaude de jaillir comme un don de la nature, un oboo se dresse majestueusement au pied de la source. Le soleil se couche au loin et les fumerolles s’élèvent, donnant au site cet aspect fantasmagorique qui nous éblouit.

Jeudi 03 juillet 2003
La nuit a été agitée, comme pour nous faire payer d’une journée sans tracas ! Vers 01 heure du matin, le sol s’est mis à gronder et à trembler de la cavalcade des chevaux qui revenaient au grand galop des pentes de la montagne où ils se reposaient : les loups ont porté leur attaque sur un troupeau de moutons voisin et ont égorgé un agneau … Gumcik et Bold sont partis au grand galop dans la nuit avant que l’on ai compris ce qui se passait : il faut veiller à ce que les chevaux ne soient pas attaqués à leur tour. Lorsque nous serons plus haut dans la montagne, il faudra ne pas oublier d’alimenter le feu ! Le matin, un vol tournoyant de vautours Pygargues nous indique le lieu du drame. C’est le quotidien du nomade que de voir ses bêtes servir de nourriture aux loups.
A 11 heures, nous sommes enfin à cheval pour une journée pleine de contrastes, d’émotions et d’aventures. Nous empruntons, dans l’immensité, de nouvelles vallées qui serpentent dans l’Arkanghaï.
Je prends un cheval de bât à la longe et, silencieusement, respectueusement, avec un constant émerveillement et une admiration sans fin, j’observe notre caravane qui avance et s’étend parfois sur plusieurs centaines de mètres …
Aujourd’hui, les paysages changent : la steppe et les plaines verdoyantes côtoient les pentes douces des collines et montagnes plantées de forêts de Mélèzes sur un tapis duveteux d’herbe grasse. Au sol, des merveilles de fleurs et plantes : des grappes d’ail sauvage, des lys multicolores, des edelweiss etc., etc. … Dans le ciel tournoient très haut les aigles royaux et plus près de nous les milans. Que c’est beau ! Et aujourd’hui, depuis ce matin, le soleil brille de milles feux !

Ce matin, lors du départ, nous avons fait le traditionnel polaroïd avec nos hôtes. A chaque visite, nous réalisons ce cérémonial car les nomades sont friands de photos souvenirs ! C’est une forme de cadeau qui fait toujours plaisir et il est certain que ces photos trouvent leur place sur l’hôtel de la yourte familiale. Nous avons également entonné en cœur un petit «Happy Birthday» car Catherine fête son anniversaire.

Pendant le repas de midi que l’on prend en pleine nature, au milieu de nulle part, une jeep s’est arrêtée : c’est un marchand ambulant. C’est amusant de constater que bien qu’isolés et perdus dans la steppe, ces épiceries ambulantes apparaissent d’on ne sait où … Patrick achète quelques victuailles, du pain et quelques bières.

La forêt se fait plus dense sur son tapis coloré de fleurs : notre itinéraire se fait magique et presque transcendant. Les mots ne suffisent pas à décrire la richesse de la nature parcourue avec nos 20 chevaux. Mais comme pour nous rappeler la rudesse de notre voyage, le ciel se couvre, le froid tombe et le tonnerre gronde. Enfin, l’orage violent éclate au passage d’un col, accompagné de grêle. A nouveau, nous sommes transis de froid : en quelques minutes, nous avons perdu plus de 20°! Vers 19 heures, sous la pluie, nous nous arrêtons dans une bergerie perdue dans la montagne. Rares sont les surfaces plates pour dresser les tentes mais l’herbe est abondante et les chevaux pourront se rassasier.

La pluie cesse juste pour pouvoir allumer le feu. Sarah nous prépare un bouillon avec du mouton, quelques carottes et pommes de terre et la fête commence malgré la pluie et le froid car dans ces conditions météo exceptionnellement difficiles, nous avons besoin de nous donner du courage. Une accalmie nous autorise à fêter Catherine comme il se doit. Patrick offre bières et vodka, Laurent sort une tablette de chocolat et une bouteille de champagne cachée pour l’occasion, je sors les chips et un paquet de M&Ms. Ariane nous cuisine une compote de rhubarbe sauvage cueillie dans la steppe … et c’est la fête dans la nuit où nos rires et conversations se diffusent sans fin à la lueur du feu de bois. Nous nous entendons à merveille avec nos accompagnateurs mongoles. Deux d’entre eux dorment ce soir à la belle étoile, sous la pluie, pour surveiller les chevaux et prévenir de toute attaque de loups ou d’éventuels voleurs de bétail. Ils sont vraiment courageux et disponibles ! A l’abri de leur Dell, manteau traditionnel mongol, ils affronteront le froid et l’humidité de la nuit. Le vent de Sibérie souffle ces lourds nuages de mousson qui ont franchi les contreforts de l’Himalaya bien plus au Nord. C’est de bonne augure pour nous et tant pis pour les Chinois qui devraient en subir les pluies !

Vendredi 04 juillet 2003
Ce vendredi matin est dantesque : un vent violent balaie notre camp, accompagné d’une pluie drue et d’un froid mordant. Les rouleaux de nuages noirs charrient la pluie et la grêle. Hier, je n’ai pas placé les tendeurs de ma tente et je le regrette bien car je dois sortir très vite pour fortifier les ancrages de notre abri. Je profite d’être sorti pour aller prendre l’avis de mes compagnons de voyage. Très vite, nous acceptons l’idée que le vent est bien trop violent pour espérer replier les toiles des tentes valablement et bâter les chevaux sans risques. Nous avons deux jours de repos prévus : contraints par les aléas de la météo, on prendra le premier aujourd’hui ! Après avoir vérifié les tendeurs, je retourne me coucher à l’abri et au chaud … la pluie crépite sur la tente. Vers 11h00, le vent est tombé et la pluie a cessé mais il fait froid. Il est vrai que nous sommes en cet endroit à près de 2.500 mètres d’altitude, au pied de la chaîne de Sovarga Hayrahan uul. Une brume dense se lève et reste accrochée aux sommets rocheux parsemés d’arbres, donnant un aspect mystérieux à cette contrée sauvage.
Gumcik et Bold sont partis de l’avant pour trouver un camp nomade. Bientôt, ils reviennent avec la bonne nouvelle : à 1 heure de cheval trônent quelques yourtes et la famille accepte de nous recevoir pour y faire sécher nos effets personnels. Ils possèdent même un tracteur et viennent chercher les bagages : il ne faudra pas bâter les chevaux !
Comme de coutume, nous sommes aimablement reçus avec le traditionnel airak, suivi de la spécialité de l’Arkhangaï à base de crème de lait de yach et farine, le khailmag qui se présente sous la forme d’une pâte à crêpe molle sur laquelle on rajoute un peu de sucre. Un délice !

Nous profitons pleinement de cette journée de repos : une belle éclaircie pour faire sécher les tentes, cueillette de champignons de prés et de rhubarbe fraîche. Nous pouvons même nous laver dans un ruisseau d’eau vive qui coule à quelques centaines de mètres. Chacun d’entre nous utilise des savons biologiques prévus à cet effet. … Au cœur de ce spectaculaire plateau montagneux, nous patagons des moments privilégiés avec nos hôtes qui ne connaissent pas les toasts aux champignons et la compote de rhubarbe! Découverte.

Samedi 5 juillet 2003
Journée à rebondissements, aventures, rires et galères où les hommes, le matériel et les chevaux ont été mis à rude épreuve … à nouveau. Nous nous sommes levé plus tôt que d’habitude : 07h00. Gumcik, Bold et Zorigo sont partis camper plus haut dans la montagne pour protéger les chevaux des loups. Mais ils ont dû abuser de la vodka car on a bien du mal à les localiser et puis à les réveiller ! Ce matin, nous avons décidé d’acheter une charrette de bois à 80.000 Tuglïks pour y atteler un cheval et tirer les bagages. Cette solution nous permettra d’avancer plus vite et de gagner du temps. Elle aura également l’avantage de soulager les chevaux et d’éviter de stupides accidents à cause d’une charge mal fixée qui valserai à terre en effrayant les montures ! Mais l’atout va s’avérer empoisonné car cet après-midi, nous avons des cols de montagne à franchir !
Il n’aura pas fallu attendre la montagne pour affronter nos premiers soucis : Patitchi, notre guide, a quelques difficultés pour tenir à cheval. Une première chute sans gravité est suivie, 15 minutes plus tard, d’une seconde chute au beau milieu d’une petite rivière. Heureusement, plus de peur que de mal car il n’est pas blessé mais bien … complètement saoul ! Sans avoir beaucoup dormi, notre guide a festoyé toute la nuit avec nos hôtes. Le risque est bien présent : incapable de tenir en selle, s’il devait se blesser, outre l’aspect humain, ce serait notre voyage qui stopperait net ! Laurent, François et moi décidons de prendre la situation à bras le corps et nous interdisons à Patrick de remonter à cheval : il marchera jusqu’à ce que son état lui permette de poursuivre à cheval. Le reste de l’équipe continue sa route et nous restons en arrière, avançant au lent pas de Patrick qui titube. L’heure de midi approchant, je décide de rejoindre au galop la tête du groupe pour y prendre de quoi manger et puis rejoindre Laurent et Patrick. Il me faudra près d’une heure au petit galop pour effectuer le trajet mais une courte sieste de notre guide et ce repas le remet vite d’aplomb. La jonction est enfin faite et, sans avoir pris de repos, nous continuons notre chemin. Patrick est conscient du risque qu’il nous a fait prendre et devant notre colère, promet qu’il n’y aura pas de récidive … nous y veillerons car l’alcool est un fléau dans ce beau pays !

Il a beaucoup plu et les pistes que nous empruntons sont défoncées et boueuses : de vraies fanges. Plusieurs fois, le chariot s’embourbe et nous devons pousser tous ensembles. Plus loin, c’est dans un véritable marais que le chariot s’enfonce avec le cheval jusqu’au poitrail ! Nous devons très vite tout décharger, dégager le cheval, ressortir le chariot au prix d’intenses efforts pour recharger et repartir mais ce n’est que partie remise car les premiers cols sont en vue. Nous croisons de temps à autre d’énormes camions russes à 8 roues motrices : ces monstres d’acier ultra puissants rejoignent la vallée voisine où l’or est exploité. Mais même ces infernales machines restent embourbées … ce pays ne fait pas de cadeaux ! A plusieurs reprises, nous devons pousser notre attelage, sans parler du cheval qui se met au refus !

Et puis, c’est l’accident : alors qu’on emprunte un promontoire pour éviter les trous de boues du chemin, l’attelage se déporte, bascule et se renverse avec le cheval attelé et l’ensemble de sa charge ! Très vite, malgré la gravité de la situation et la peur panique de l’animal qui se débat, nous arrivons à délivrer le pauvre animal de son harnachement, dégager le chariot et à le remettre sur ses roues. Pas de blessés, heureusement, mais encore 30 minutes de perdues. Et puis viens l’ascension du col : avec une telle charge, elle est impossible pour un cheval seul car la pente est trop raide et surtout trop longue. On décide de décharger pour transférer les sacs sur deux chevaux de bât … C’était le bon choix et après quelques efforts, nous longeons le Oboo qui culmine à chaque col et entamons la descente vers la vallée de la mine.

Cette vallée est dangereuse car elle draine une multitude d’individus sans foi ni lois, venus à la recherche d’un Eldorado fait d’or et de richesses … et souvent déçus.
Nous décidons de ne pas la traverser car la nuit tombe et il est préférable de dresser le camp à l’écart pour des raisons de sécurité : il ne faut pas tenter le diable. Demain, nous traverserons cette vallée « industrialisée » et donc « choquante » au regard de ce que nous avons vécu jusqu’ici d’une seule traite, sans traîner.

Aujourd’hui, la pluie nous a épargné.

Dimanche 06 juillet 2003
Il est 21h30 et je suis assis sur la rive de l’Orhon qui coule rageusement. Sa largeur et sa profondeur sont inhabituelles car en cette saison, il est normalement passable à gué et ici, vu le courant, avec le chariot et les bagages, ce n’est pas possible. Les pluies exceptionnelles ont gonflé le cours d’eau. Ce sera notre défi de demain matin.

Nous sommes passés de l’Arkhangaï à l’Ovorkhangaï et la vallée où nous avons dressé le camp est splendide, encaissée entre d’abruptes falaises de roche éclaboussées de la lumière du soleil couchant. Les pierres ont la couleur de l’orange et varient sur les jaunes et rouges au fur et à mesure que le soleil descend. Entre les arrêtes se découpent de larges espaces boisés et herbeux. Nous avons pris le temps de manger et aussi de terminer de sécher tout ce qui devait l’être. Nous avons même eu le loisir de nous laver dans les quelques mares d’eau claire qui jouxtent notre campement.

Aujourd’hui a été une journée calme, du moins relativement car nous avons eu, comme toujours, notre petit lot de surprises suite auxquelles nous improvisons la solution. De façon générale, nous anticipons de mieux en mieux les dangers qui nous guettent au détour des pistes défoncées. Ce matin, nous nous sommes mis en route à 09h00 pour traverser les mines d’or dont l’exploitation ravage les vallées du sud de l’Arkhangaï. L’eau de filtrage est rejetée violemment en aval, ce qui a rendu notre progression difficile car les pistes sont inondées par endroits. Çà et là, on croise des chercheurs d’or munis de pelles et de bassines, aux visages patibulaires. Après quelques heures, nous quittons enfin ces paysages torturés pour retrouver la quiétude d’une nature intacte. Notre progression est bonne, jusqu’à ce que l’on butte sur un passage impossible : le premier bras de l’Orhon. Laurent, qui avait quelques centaines de mètres d’avance sur le reste du groupe, se risque à une traversée à gué : lorsqu’on le rejoint, il est sur l’autre rive mais se ballade en sous vêtement car l’eau lui est arrivée jusqu’à la ceinture ! Trempé et obligé de faire sécher chaussures, chaussettes et pantalon au soleil ! Dès lors, deux risques sont à envisager si l’on traverse avec le chariot : d’une part la certitude que nos sacs et les affaires seront trempées mais surtout, d’autre part, le risque de voir la charrette et son cheval emporté par le courant violent. En outre, toute la vallée dans laquelle on s’engage est sillonnée de part en part par cette rivière en crue et cela signifie que notre progression va être ralentie et sérieusement compliquée. On décide donc de décharger pour bâter les chevaux avec deux sacs maximum pour passer l’obstacle, tant pis pour le temps perdu. C’est à ce moment qu’arrive un fourgon 4x4, comme à l’accoutumée, sorti d’on ne sait où et toujours à point nommé. Le conducteur s’arrête à notre hauteur et la discussion s’engage. Négociation, prix établis et voilà qu’on charge le véhicule avec nos sacs alors que les chevaux passeront à gué. La charrette est attelée à la voiture avec des sangles et nous serons tous déposés quelques kilomètres plus loin, sur les bords d’un passage que même ce 4x4 ne peut défier. Un saut de puce qui nous permet de gagner du temps et de choisir la solution à adopter pour contrer les flots de l’Orhon.

Laurent, toujours curieux et courageux, décide de tenter un passage à pied après que l’on ait monté le camp dans cette splendide vallée. Solidement assuré par les sangles que l’on tient de la berge, il s’engage mais revient après quelques mètres. Le verdict est clair : on ne passe pas ! Demain, il faudra passer coûte que coûte : il va y avoir du sport !

22h00. Alors que l’on veille autour du feu, un bruit sourd et vague de moteur résonne dans la vallée avant de s’estomper. Nous tournons tous le regard vers l’entrée de la gorge où l’on a installé notre bivouac. Perdus dans la nature, il faut savoir rester prudent quant à nos rencontres car il est parfois risqué de se faire détrousser d’autant plus que les mines ne sont pas loin et qu’elles drainent des individus sans scrupules. Dans cette contrée, les bruits se répercutent très loin … et nous ne voyons rien. Sans doute que le camion a emprunté une vallée parallèle. Régulièrement, le bruit de moteur se fait entendre mais toujours sans que l’on puisse être certain qu’il s’agit d’un véhicule qui roule sur notre piste …
A 00h30, alors que nous sommes couchés, le vrombissement se fait plus présent. Plus de doutes, un gros véhicule roule dans notre direction et se rapproche. Encore quelques minutes et un énorme camion s’arrête à notre hauteur. Personnellement, je suis sur mes gardes et les voix de Laurent et François me laissent présager que eux aussi se demandent ce que veulent nos visiteurs de la nuit. Je cache argent et cartes de crédit dans mes chaussettes et décide de sortir alors que çà palabre ferme dehors. Mais finalement, l’épilogue sera heureux et nous apprendra que pendant notre aventure il ne faut plus attendre le jour pour avoir notre lot de surprises : il est 01h00 du matin et on démonte le camp ! Gumcik a négocié notre passage complet par camion de la vallée et des larges et tumultueux bras de rivière pour tous les cavaliers et les bagages. Les tentes sont pliées en 30 minutes et chargées avec tout le matériel dans la benne. Les roues de ce camion russe sont presque aussi hautes que moi ! En passant, les chevaux seuls pourront emprunter les chemins muletiers de montagne pour éviter la vallée rendue impraticable par les pluies. A la lueur des phares, sous une nuit étoilée et une lune claire dont le reflet se perd dans l’Orhon, nous découvrons du camion les passages impossibles de la vallée. Elle est complètement inondée et ce sont de véritables lacs au travers desquels avance ce monstre d’acier. Avant de s’engager, le conducteur s’arrête pour évaluer le courant et les risques. A certains endroits, la rivière est si profonde que les phares du camion passent sous le niveau de l’eau ! On rit de la situation tant elle est inattendue et burlesque. Près d’une heure plus tard, dans la nuit noire et à la lueur de nos lampes frontales, nous avons déchargé les sacs et remonté le camp de l’autre côté de la vallée. Nous sommes transis de froid. Nous pouvons aller dormir et il faudra attendre demain que les chevaux nous rejoignent en espérant qu’ils puissent passer sans encombre.

Lundi 07 juillet 2003
Nous nous sommes levés vers 10h00, sous un soleil chaud et puissant. On se prépare à une journée d'attente mais vers 13h00, divine surprise, les chevaux apparaissent ! Nous lançons des clameurs de joies et félicitons les hommes et les chevaux : devant l’impossibilité de passer, ils ont emprunté des chemins de montagne et contourné la vallée. Après quelques minutes de réflexion, nous décidons de ne pas attendre et de repartir : en selle à 15h00 pour nous rapprocher de la région des lacs de l’Ovörkhangaï. Très vite, sous un soleil de plomb (enfin !) et sans encombres (c’est surprenant !), nous traversons le bout du monde ! Cette région sauvage est fabuleusement belle ! Nous gravissons une solide colline d’origine volcanique. Déjà dans la plaine de larges bandes de roche volcanique entremêlées forçaient notre admiration. Leur origine remonte à l’éruption de volcans il y a des millions d’années, créant failles et lacs de lave. Nous sommes éblouis. Quel paysage est-il plus beau qu’un autre ? Pour moi, c’est sans doute une des plus belles journées. Le chemin herbeux sur lequel on avance ondule à flanc de montagne, entouré de mélèzes clairsemés et bordé du mur formé par le lac de lave pétrifié.

La route est longue car nous marchons, trottons et galopons librement plus de trois heures, à vive allure. Et puis, après un dernier virage à droite et le passage d’une butte se découvre le but de notre journée : au bas d’un cirque herbeux, entouré d’une forêt de résineux et meurtri de rochers volcaniques … le lac ! L’eau ! Nous dressons le camp pour la troisième fois de la journée sur ce lieu extraordinaire ! Le calme est encore une fois saisissant et le ciel orange de fin de journée annonce une veillée paisible autour du feu. Le seul souci semble être nos réserves de vivres qui fondent comme neige au soleil. Il faudra très vite penser à se ravitailler mais ici, pas de passage de véhicules !

Mardi 08 juillet 2003
La nuit a été calme mais comme chaque soir, il a fait très froid ! Nous avons loupé le réveil et c’est à 09h00 que nous avons déjeuné. Très vite, nous avons regroupé les chevaux, sellé, chargé notre attelage et à 11h00, le groupe est en marche. La piste est bonne et l’allure soutenue. Nous continuons à déambuler dans ce décor sauvage dont le lac de lave avec ses roches noires et grises qui forment un amas chaotique. Les arbres prennent des formes bizarres, torturées, sinueuses. Nous marchons sur un tapis moelleux d’herbes et de fleurs. Notre objectif du jour est d’atteindre le plus grand des «8 lacs». Cet écosystème et ses lacs en réseau souterrain est protégé par le gouvernement de Mongolie et classé en réserve naturelle du patrimoine mondial. L’itinéraire est envoûtant, magique. Çà et là, les rubans de soie bleue volent au vent, trahissant le caractère chamaniste des autochtones. Enfin, nous terminons de contourner le lac de lave qui nous semble interminable pour aboutir à un nouveau lac au bord duquel nous mangeons. La vallée s’ouvre et au loin, on distingue l’entrée d’un canyon étroit qu’on va devoir arpenter pour rejoindre la réserve des « 8 lacs ». Laurent et moi sommes, à l’approche du canyon, fort en arrière du reste du groupe. Une fois de plus, nous galopons dans cette immensité, côte à côte, sur des kilomètres et sans aucun obstacle, droit devant nous. Au galop, nous abordons les creux, les bosses, les marres et nous sourions car nous avons conscience du bonheur que nous ressentons, ce sentiment de grandeur sur « l’autoroute de la liberté » où aller et venir où bon nous semble est notre quotidien. Le canyon est splendide : falaises de roches escarpées, arrêtes abruptes, arbres majestueux et au centre, paisible, la rivière qui coule doucement en serpentant. Bientôt, la piste que l’on suit disparaît. Quel chemin emprunter ? Notre guide n’est jamais venu jusqu’ici et il faut partir en reconnaissance pour savoir quelle route prendre avec notre attelage.

Une petite heure d’attente et la direction est choisie. Cependant, comme il faut se frayer un chemin dans la forêt et monter jusqu’au sommet d’une solide colline, nous décidons de décharger et de bâter deux chevaux pour répartir le poids et permettre à la charrette de monter. Il sera trop tard pour atteindre le grand lac mais qu’importe, cette ascension est splendide et le caractère sauvage de la nature force encore notre admiration. Le sommet est en vue, constitué d’un dôme herbeux de pâturage. Après quelques mètres sur cette butée, c’est l’extase générale d’un incroyable paysage … un large lac ovale stagne paisiblement en contrebas : nous y installerons le camp.

Ce soir, ce sont à nouveau les rires qui fusent autour du feu, en dépit du froid et de l’orage qui a éclaté peu de temps après avoir monté les tentes … mais il n’a fait que passer pour faire place à de jolis jeux de lumière sur la colline voisine. Les vivres se font maigres mais nous festoyons : chocolat de Laurent, soupe d’Ariane, agneau aux tomates avec du riz, pousse-café dont les bouteilles dorment dans mon sac depuis le départ … c’est la dernière bouteille ! Demain, nous passons la journée à nous reposer et à soigner les chevaux.

Mercredi 09 juillet 2003
Journée de repos. Le soleil brille haut dans le ciel. Ceux qui le désirent partiront à cheval pour atteindre notre objectif : admirer le plus grand des 8 lacs situé a encore deux heures de cheval. Un groupe de randonneurs guidés par Claire Sermier est allé s’installer de l’autre côté du lac. Gumcik est parti dans la vallée voisine pour aller à la rencontre de tribus nomades et espérer acheter un mouton pour refaire notre réserve de viande fraîche, mission remplie avec succès ! L’animal est tué et dépecé sur place : sa viande nous servira pour la fin du voyage.
Journée calme mis à part la pluie qui refait son apparition, comme chaque jour à la même heure par des orages violents mais assez brefs …

Au matin du 10 juillet, les paroles fusent autour du feu dès 06h30 du matin. Il y a quelques minutes, un loup est sorti de la forêt et a longé notre camp à juste quelques mètres, à la surprise de Gumcik qui faisait son tour de garde. Il a eu la chance incroyable de pouvoir observer cet animal aussi rusé que discret. Gengis Khan, le loup de Mongolie, s’est découvert aujourd’hui …

Jeudi 10 juillet 2003

Journée sans soucis. Nous avançons à vive allure. Laurent et moi avons croisé un marchand ambulant et acheté deux trois bricoles, biscuits et bouteilles de vodka. Nous marchons moins vite que les autres et sommes restés en arrière. Nous avons dégusté la vodka et c’est joyeusement que nous approchons des chutes de l’Orhon, notre prochaine destination.

Vendredi 11 juillet 2003
Ce matin, nous sommes allés jusqu’aux belles chutes de l’Orhon. En réalité, ces chutes sont l’aboutissement d’un cours d’eau qui se jète directement dans l’Orhon. A côté du camp, François et moi avons gravi une solide colline escarpée d’où on observe toute la vallée, interminable ! En face de nous, une sorte de « rift » : les chutes et le canyon de l’Orhon.

Aujourd’hui, nous ne monterons pas à cheval car nous allons assister au Nadaam, fête nationale traditionnelle de Mongolie. C’est en fourgonnette qu’on rejoint la ligne d’arrivée d’une course de chevaux montés à cru par des enfants d’à peine 7 ou 8 ans. Très vite, une foule de curieux arrive, à cheval, moto, voiture, fourgon et même en camion ! Il est amusant de voir comment véhicules et chevaux cohabitent. L’arrivée des derniers concurrents sonne le moment de rejoindre le sum (village) de Bat-Olziy où nous assisterons aux combats de lutte traditionnelle. Les lutteurs, en costume minimal, dansent et miment le vol de l’aigle avant de s’affronter devant un public attentif.
Le soir, nous avons dressé notre bivouac près de la rivière Tsagaan à l’écart, loin du village pour éviter les foules enivrées de ce jour de fête nationale. Demain, nous repartirons pour de nouvelles découvertes.

Samedi 12 juillet 2003

Du plateau sur lequel nous avons campé, notre vue sur la vallée est imprenable. Ce sont des immensités qui se dévoilent à nous, les montagnes au loin. Sous le soleil, nous marchons vers le temple sacré de Tovhon Hiyd, haut lieu Bouddhiste de pèlerinage. Le chariot et les bagages emprunteront la vallée avec les chevaux à la longe, les cavaliers passeront par un chemin étroit de montagne à travers la forêt. Le chemin serpente et le soleil perce la cime des arbres pour éclairer le sol parsemé de fleurs colorées. Aujourd’hui, nous subissons l’attaque en règle des mouches et taons qui piquent à travers les vêtements. Jusqu’à présent, nous avions été épargnés de cet inconvénient, seul avantage des pluies quotidiennes. Mon regard scrute au plus loin sous les arbres, dans les taillis, autour des rochers … à la recherche du loup de Mongolie. J’aimerais tant l’apercevoir … mais rien ! Mis à part les oiseaux et les troupeaux des nomades, on n’observe pas de gibier.

Le temple de Tovhon Hiyd est perché sur un piton rocheux au sommet d’une montagne boisée. Il date du 17ème siècle et abrite grottes sacrées ainsi que quelques jeunes moines. Comme d’habitude à cette heure, alors que notre visite se termine et que l’on se prépare à reprendre nos chevaux, la température chute et l’orage éclate. Le tonnerre gronde et la grêle tombe au point de blanchir le sol ! La descente est rendue glissante par l’écoulement des eaux et nous rejoignons finalement la vallée de l’Orhon où nous attendent Zorigo et Gumcik. La journée a été longue et les corps sont douloureux. La veillée sera calme ce soir.

Dimanche 13 juillet 2003 Ce matin, nous nous sommes autorisé un réveil plus tardif. Nous avons besoin de récupérer un peu et de prendre soin de nous, d’autant plus que nous approchons maintenant de Harhorin (Caracorum en français), ville impériale et ancienne capitale de Mongolie.

C’est le but ultime de notre voyage. La ville n’est plus qu’à une petite centaine de kilomètres et pour la rejoindre, nous devons emprunter la vallée en aval des chutes de l’Orhon. Les pistes y sont larges et faciles. Sous un soleil de plomb, nous sommes revenus en Arkhangaï, caractérisé par ses vallées moins escarpées et plus larges, par ses étendues herbeuses.
Le chemin qui mène à Harhorin emprunte une vallée sacrée aux yeux des populations locales. De très nombreuses tombes jalonnent notre itinéraire et sont parfaitement visibles et conservées malgré leur âge : plusieurs centaines d’années. Elles sont caractérisées par des espaces délimités de pierres qui forment un rond ou un carré et dont la surface varie de quelques mètres à plus de 20 mètres de côté. Au centre, un amas de rochers ou quelques stèles plantées à la façon des dolmens, parfois gravées de motifs et symboles. Les tombes carrées concernent les guerriers, les rondes pour les notables. La taille du périmètre de la tombe se rapporte à la bravoure ou la notoriété du défunt. Vers le 15ème siècle, les seigneurs de l’Ouest s’opposaient aux seigneurs de l’Est dont faisait partie la capitale Harhorin. En cause, la collaboration commerciale des seigneurs de l’Est avec la Mandchourie voisine, ce qui n’était pas du goût des seigneurs de l’Ouest. Le résultat fut de nombreux et violents affrontements armés qui se déroulèrent dans la vallée de l’Orhon, avec pour conséquence l’affaiblissement de la Mongolie. Cette décadence fut mise à profit par les Chinois pour soumettre les peuples de Mongolie.

L’allure de notre caravane est soutenue et les vues toujours imprenables. Après un petit méandre boisé (suffisamment rare ici pour le remarquer), nous décidons de stopper et d’installer notre camp, juste à temps pour l’orage quotidien. Juste avant que la pluie de tombe, nous avons reçu la visite d’un groupe de cavaliers français qui avait démarré au matin et à qui nous avons annoncé la pluie imminente. Sous leurs gentils chapeaux de paille, avec leur petit short et T-shirt léger, ils ont ris … et certainement dégusté !

Demain, nous rejoindrons Harhorin à cheval pour y dresser notre bivouac et visiter les différents sites incontournables. La fin de notre aventure approche.

Lundi 14 juillet 2003
Nous approchons maintenant de Harhorin. La journée se déroule sous le soleil et sans aucun souci. Nous profitons pleinement de ces derniers moments avec nos montures.
Il est 14 heures quand nous décidons de dresser le camp, à juste 3 kilomètres de la ville qui s’étend derrière la colline. En fait de ville, ce sont plutôt des quartiers de baraques en bois, protégées de palissades faites de planches dressées. Pas de route, si ce n’est la principale, juste des chemins de terre.
Nous poussons tout de même une reconnaissance, à cheval, et profitons d’être là pour s’offrir un coca-cola bien frais !
Le soir, un cavalier s’est approché de notre bivouac. Il s’est présenté comme étant un artiste et se propose de venir exécuter un concert de musique et chants traditionnels de Mongolie pour la modique somme de 2000 Tuglïks par personne. Une heure après avoir accepté on offre, il est de retour avec un comparse, en tenue de spectacle et avec ses instruments dont la vielle à tête de cheval. Autour du feu de camp, alors que la nuit tombe, leurs chants résonnent dans la vallée. Les voix dyphoniques, mélodies à la gloire de Gengis Khan ou de l’Arkhangaï rythment nos souvenirs de cavalcades infinies dans la steppe mongole.

Mardi 15 juillet 2003
Après avoir démonté les tentes, nous rentrons à cheval dans la ville impériale de Harhorin. Nous visitons quelques sites incontournables comme La statue en Tortue du 14ème siècle qui est censée protéger la ville des inondations (la ville est dans une cuvette le long de l’Orhon), la statue phallique, le temple sacré de Erdene Zuu

Ce soir, alors que nous redressons pour la dernière fois le campement de l’autre côté de la ville, nous distribuons quelques cadeaux à nos amis Gumcik, Bold, Zorigo, Sarah et Patitchi. L’heure de la séparation approche.
Demain, nous rentrerons à Oulan Baator en deux étapes pour nous arrêter au Gobi des dunes, à mi-chemin de la capitale administrative. Rémy se chargera d’organiser notre transfert vers l’aéroport.

Conclusion rapide …
Nous avons atterri à Bruxelles la nuit du 20 au 21 juillet 2003 après une journée passée en transfert à Moscou que l’on visite à nouveau, mais sous le soleil.
La tête pleine de fabuleux souvenirs, je ne puis que conseiller cette fabuleuse destination qu’est la Mongolie. Le budget pour y passer un séjour équestre reste tout à fait abordable (moins de 100 euros/ jour hors transferts internationaux) pour autant que le billet d’avion soit réservé longtemps à l’avance. C’est la première fois que Rémy organisait un séjour en totale autonomie, et nous lui avons fait part de nos remarques et suggestions. Si vous deviez, à votre tour, vouloir tenter l’aventure, il est certain que vous bénéficierez des enseignements acquis …
Merci à mes amis Catherine, Ariane, Laurent et François ainsi qu’à tous les acteurs de notre expédition pour ces moments extraordinaires qui resteront gravés dans ma mémoire …



© 2002 Vincent Damseaux